samedi 15 septembre 2012

Lettre à mes sœurs

Il y a cinq ans, je vous apprenais le coup du destin qui avait fait sauter mes mécanismes de négation et qui m’avait plongée dans une profonde dépression qu’on appelle la dysphorie d’identité de genre et de ma thérapie qui consistait à changer de sexe. Il y a cinq ans, ma conjointe et son fils faisaient encore partie de votre famille. Ils font désormais partie de ma famille. Il y a cinq ans, l’une d’entre vous a suggéré à ma conjointe de me quitter parce que j’étais « une manipulatrice qui l’avait exploité et que maintenant que je réussissais, j’en profiterais pour changer de sexe et la foutre là à court terme ». Nous nous aimons toujours autant et sommes toujours ensemble. Une autre m’a dit qu’elle aurait préféré apprendre que j’étais morte et je le suis devenue pour elle depuis. Finalement une autre m’a dit qu’elle avait besoin de temps et qu’elle reviendrait vers moi lorsqu’elle serait prête. Ça fait maintenant déjà cinq ans.

 Toutes m’ont aussi dit que ce serait un stress épouvantable pour leurs enfants. Que j’allais les fucker. Cinq ans plus tard, je me demande s’ils sont encore perturbés? Je rappelle que plusieurs transsexuels(les) ont des enfants et qu’ils ne sont « fuckés » que si l’un des parents ou la famille réagissent très mal à la transition de l’autre parent. Je vous informe aussi que nous sommes maintenant grand-mères et que Liam, notre petit-fils, ne semble vraiment pas perturbé par le fait d’avoir deux grand-mamans. Les enfants sont comme ça. Ils apprennent de leurs parents et s’adapteront ou pas, en fonction de la réaction et du comportement de ceux-ci. Vous aviez une belle-sœur (ma conjointe) qui était dans un drame indicible. Depuis, elle subit aussi elle aussi « la tare » d’être avec moi. Jamais vous ne vous êtes inquiété de ce qu’il advenait d’elle. Jamais vous ne l’avez supporté. L’un de nos frères, qui agissait comme intermédiaire entre nous me donnait quelquefois des nouvelles de vous et s’enquérait des miennes. Un jour je lui dis, « si elles veulent avoir des nouvelles de moi qu’elles me téléphonent et s’il-vous plaît arrête de me torturer avec leurs nouvelles ». C’est terrible de savoir que mes neveux et nièces grandissent sans que j’aie aucun contact avec eux. C’était troublant de voir sur Facebook la photo de l’une de mes nièces, cinq ans plus tard, sans pouvoir lui parler et lui dire à quel point elle me manque et que je m’ennuie d’elle. Je ne comprends toujours pas ce que j’ai fait, ou n’ai pas fait, pour être ostracisée de la sorte.

  Cinq ans plus tard, je suis toujours profondément meurtrie d’être sur votre liste noire. Aujourd’hui je vous ai vue. Vous m’avez vue aussi. Vous m’aviez exigé de ne plus jamais vous contacter et d’attendre que vous soyez prête et que vous viendriez vers moi ce moment-là. J’ai cru aujourd’hui que ce jour était venu. J’ai espéré que cette réunion funèbre qui nous réunissait aujourd’hui ferait naître une réconciliation. Mon deuil est maintenant plus lourd encore. Il est énorme. Il me pèse sur les épaules, sur le cœur, sur l’âme. Je me sens comme si un truck m’avait passée sur le corps. Ma conjointe et moi étions les fantômes qui étaient vivant dans la pièce. Même l’hommage photographique qui était fait à notre belle-sœur avait une photo dont mon amour et moi-même étions coupés. C’était celui de son dernier repas d’anniversaire. Cette attention à faire disparaitre l’image même de notre présence sur une photographie de la défunte est profondément vicieuse et troublante. Je sais que vous n’êtes pas responsables de cette idée géniale, mais c’est l’exemple même de notre mort archivistique, sociale, familiale et fraternelle.

  Adieu à vous qui nous avez déjà fait mourir.

  Nous vivrons heureuses avec les gens qui nous aiment, malgré votre meurtre symbolique…

  Votre soeur Michelle

  Suis maintenant triste pour ma défunte mère qui doit se retourner dans sa tombe... Elle aurait si honte de ses enfants...

Mise à Jour

Voici un message privé que j’ai reçu sur Facebook et qui me permet une réflexion additionnelle. Je trouvais important de vous la partager et j’exclus le nom de l’expéditeur pour respecter sa vie privée (tout comme je n’ai pas mentionné le nom de mes sœurs pour la même raison. J’ai d’ailleurs attendu 5 ans avant de vous partager ce drame qui est le mien et celui de ma conjointe et de son fils)…


Bonjour Michelle,

Même si je ne connais aucun transgenre dans mon entourage j'ai toujours eu de la difficulté à les accepter. Un jour, me questionnant, j'ai comme été frappé par une "révélation". Dieu que ces gens doivent souffrir pour avoir à "affronter" le changement de sexe, le regard des autres. Dieu que ces gens sont courageux. À partir de ce jour là, je ne comprenais toujours pas, ne l'acceptais pas plus, mais j'ai commencé à développer de la compassion pour les transgenres. Compassion que je développe un peu plus à chaque jour qui passe quand je pense à ceux qui vivent avec cela.

Je pense être une personne plutôt ouverte d'esprit mais mes circuits neuronaux internes se bloquent quand je cherche à comprendre ou à accepter.

Imaginez si nous étions frère et soeur!

Je vous en voudrais terriblement probablement… Alors que là, je n'aurais qu'une envie : celle de vous serez contre mon coeur pour vous faire oublier votre lourde peine face à vos soeurs!?!

Il n'y a rien à comprendre...

Je vous recommande la compassion envers vos soeurs. Vous aimeriez d'elles qu'elles vous acceptent malgré vos choix. Essayez de les accepter dans les leurs de ne pas accepter le votre. Vous serez déjà un peu plus en paix avec vous même et face à elle.

Bonne route,

mardi 11 septembre 2012

Le deuil de la femme et la gestion du mépris

Depuis quelques mois, je suis devenue plus macho et agressive que je ne l’ai jamais été. C’est mon amour qui me l’a fait remarquer. J’ai recommencé à sacrer comme jamais, je conduis de manière impatiente, j’ai des manières encore plus viriles que j’avais lorsque j’étais un homme. Bref je suis complètement chavirée. La cause en est simple et à la fois complexe. Je suis en train de faire le deuil de la femme que je ne serai jamais. Malheureusement, je serai une minorité visible pour le reste de mes jours. Ce statut en plus d’être visible, est aussi malheureusement risible pour une frange importante de la population.

 Cet été nous avons fait une croisière en Méditerranée. À chaque destination, ça allait vraiment bien. Mais sur le bateau, c’était l’enfer. Le personnel du MSC Splendida et les autres passagers étaient vraiment odieux et méprisants à mon égard. J’ai déjà appris à relativiser, à me dire que je ne sais jamais ce que les gens pensent, à regarder ailleurs ou à pratiquer l’aveuglement volontaire. Cependant, après un certain niveau de mépris, ces petits jeux mentaux ne fonctionnent plus. D’ailleurs sur le bateau, après un épisode particulièrement douloureux de mépris avec le personnel de bord, je suis allée déposer une plainte auprès de la responsable des ressources humaines du bateau. Après, on me traitait artificiellement aux petits soins. Je me disais que c’était mieux de vivre de la fausse délicatesse que de vivre du vrai mépris. Mais les autres passagers eux continuaient d’être outrageusement insolents.

 Dans les derniers deux ans, j’ai aussi vécu deux menaces de mort, des menaces à mon intégrité physique et de trop nombreuses insultes en ligne et hors-lignes, ici et ailleurs. J’en suis extrêmement blessée et l’un de mes mécanismes d’adaptation est d’être devenue agressive. Je me dois de réagir et d’analyser ça en profondeur pour ma propre stabilité psychologique et pour le bien-être des gens qui m’entourent. Je dois faire le deuil de la femme que je ne serai jamais et dans un processus de deuil, la colère est malheureusement la première étape. C’est encore très difficile de vivre sa différence au grand jour. On me parle souvent de la « rançon de la gloire », mais peu de gens s’imaginent le réel prix de cette rançon…